Marseille, du début de la guerre jusqu'à la défaite

Témoignage de Lorette COLAS : une marseillaise âgée de 14 ans

 

« Ce début de guerre fut sans incident important, quelques petites anicroches, aucune inquiétude à avoir puisque la ligne Maginot sécurisait à l’est notre frontière avec l’Allemagne, et au nord, nos autres frontières étaient avec des pays neutres, Luxembourg et Belgique. Cela était bien loin de Marseille et des marseillais qui ne demandaient pas mieux que d’être rassurés : « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » était le slogan lancé par notre propagande. La confiance revenait, malgré les ordres de la « Défense passive » : fenêtres assombries de bleu ou de rideaux pour cacher les lumières, aller se réfugier dans les caves ou autres abris dès la sirène d’alerte et n’en ressortir qu’après la sirène de fin d’alerte.

 

(Petites parenthèses sur la sirène d'alerte : pendant les vacances de février, nous avons pu enregistrer la sirène d'alerte de Rians, village où l'une de nous passe ses vacances.)

 

Voici à quoi elle ressemblait :

 

https://youtu.be/EL78dCvJ_8o

 

Tout cela nous paraissait aussi folklorique que les masques à gaz dont on nous fit la démonstration au lycée, ainsi que la descente dans les souterrains dont élèves et professeurs sortirent empoussiérés de noir. On nous donna des cours de secourisme et on nous incita à faire partie des « équipes nationales » pour venir en aide à la population en cas de bombardement. Le quartier général était aux allées Léon Gambetta, à côté de la banque Bonnasse.

Tout cela n’était pas pris au sérieux. Puis brutalement, à partir de mai 40, les évènements vont se précipiter. L’armée allemande avait contourné l’infranchissable ligne Maginot et nous envahissait par des pays neutres, l’armée belge se battait du côté de Sedan. Notre armée « se retranchait sur des positions préparées à l’avance », ce qui voulait dire ce que nous ne voulions pas comprendre.

Le matin du mercredi 15 mai 1940 nous avions cours d’italien. Mademoiselle Rose, avec la même expression tragique que lorsqu’elle nous commentait L’Enfer de Dante, mais avec plus de solennité, nous annonça : « le Roi des Belges nous a trahis, l’armée allemande en violation des conventions internationales est rentrée en France en passant par la Belgique et marche sur Paris ». A partir de là tout s’accéléra. Le samedi 1er juin, les avions allemands bombardaient la région nord de la ville, quarante morts.

Ils reprenaient le dimanche matin, faisant 64 morts dans le quartier de la Joliette. Le 10 juin, l’Italie de Mussolini, allié d’Hitler, déclarait la guerre à la France écrasée. Le 21 juin, les avions italiens semaient des bombes sur les vieux quartiers, entre la mairie et la Major, faisant 143 morts et 135 blessés, dont un grand nombre périt ensuite.

 

Marseille dans la tourmente

Marseille dans la tourmente, 1939-1944, couverture en aquarelle d'un broché de 310 pages,

représentant les bombardements de 1940 sur Marseille, et où l'on voit un bateau coulé dans le port

 

Les victimes les plus nombreuses, dont beaucoup italiennes, avaient été fauchées à la place Victor Gelu et aux abords de l’Hôtel de Police. Mai 40 symbolise la fuite des civils vers des zones libres. La débâcle de l’armée française déclencha un grand exode des gens du Nord et de Paris, (tous les moyens de transport étaient bons pour fuir les zones envahies). Les réfugiés viennent s’entasser dans les hôtels et dans les abris improvisés débordant sur les lieux publics, à commencer par les terrains vagues situés derrière la Bourse, couchant dans les voitures, dans la gare, errant dans les rues.

Annoncée par un vieillard octogénaire qui avait participé à la victoire de la guerre de 14, l’armistice du 22 juin divisait la France en deux zones : la Provence est en zone libre et sert de refuge à tous ceux que menace la persécution nazie. Le Maréchal Pétain est le chef du nouveau gouvernement installé à Vichy.

 

Que faire ?

 

Au début de la guerre, ma mère, qui se souvenait de 14-18, acheta un sac de 50kgs de café vert, un autre de sucre cristallisé, un troisième de farine, et, telle une Pythie, prédit la disette, la misère et les bombardements.

Elle décida que nous habiterions notre maison de Valmante jusque-là utilisé les fins de semaine. Et comme il était évident qu’il y aurait un ralentissement dans le commerce, notre unique ressource, il fallait trouver un apport extérieur. Ma sœur Chloé put être engagée, avec l’appui d’un client ami, le médecin-colonel Cenet, à la direction du service de santé, sis à l’hôpital militaire de Michel-Lévy, rue de Lodi.

Ma sœur Jeanette la remplacera pour les livraisons, les visites aux artisans, ébéniste et tapissier. La Mona 4 avec son large plateau continuera à transporter les meubles, et la « traction-avant » que ma mère venait d’acheter au colonel Cenet, servira à nos allées et venues. Le matin tôt, la « traction-avant » conduite par Jeanette, nous descendait toutes les quatre jusque devant le magasin, d’où Chloé rejoignait Michel-Lévy et moi le Lycée Montgrand.

Le soir, elle ne repartait qu’après le retour de Chloé et la fermeture du magasin. Comme je sortais beaucoup plus tôt du lycée, je prenais le tramway n°22 dont le terminus était devant l’église de Mazargues. Je pressai le pas dans le chemin de Morgiou, en longeant le camp de la Cayolle où étaient parqués les Indochinois qui ne pouvaient pas rejoindre leur pays. On disait qu’ils étaient si affamés qu’ils avaient tué le petit âne, qui transportait seul le poisson de Sormiou à Mazargues, pour le manger. Ma mère pour plaisanter me recommandait de bien serrer mon foulard sous le menton pour cacher mes grandes oreilles.

Une autre raison à ma hâte, était d’arriver à temps, pour voir le coucher du soleil. En haut de notre impasse, une tour de garde à moitié écroulée limitait le domaine de Luminy. Grimper, haletante, les marches inégales et être la spectatrice privilégiée du soleil couchant sur la rade de Marseille où se profilent nos îles familières et mystérieuses, m’apportait à la fois exaltation et frustration de ne pouvoir exprimer ce transformisme magique de couleurs, ni en peinture, ni en mots. On s’était organisé dans la guerre, comment allions nous vivre la défaite ?

 

La défaite

 

Le commandant Destray ; les restrictions, la pénurie d'essence. Nous habitons l'entresol.

Après l'armistice, nous avons continué à habiter Valmante et à « descendre » à Marseille en voiture le matin pour nous répartir, ma mère et Jeanette au magasin, Chloé à Michel Lévy et moi au lycée Montgrand.

Dans le gâchis de cette guerre perdue, l'exode d'une foule affolée échouant Marseille, nos soldats prisonniers, la honteuse paix séparée, annoncée par la voix chevrotante du maréchal Pétain, qui déclencha la destruction de notre flotte à Mers El-Kébir avec la mort de milliers de nos marins, les restrictions alimentaires dans une ville surpeuplée, notre zone libre privée des ressources de la zone occupée, cette France partagée en deux où on ne pourrait plus circuler, librement dans cette grande désolation où chacun essayé de subsister, ma mère était plus dopée qu'abattue.

Il était évident que notre commerce se réduirait au mobilier utilitaire. Pour compléter nos revenus, nous avons donc sous-loué, avec l'accord de notre propriétaire, notre logement tout meublé du troisième étage au commandant Destray, rescapé de Mers el-Kébir, et à son épouse, en attendant qu'il trouve un appartement à acheter. Ce loyer s'ajoutant au mois de ma sœur Janine, était rassurant, et nous permettrait de subsister, en habitant Valmante. »

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