Étude : Le Maquis de Jouques

A la Mémoire des 15 tombés lors de l’attaque du Maquis de Jouques, le 10 juin 1944, conduits par les aléas de la vie et les choix qu’ils avaient faits dans un lieu quelconque, perché dans les hauteurs de Bèdes, jusqu’ici très peu connu par les habitants et les Français, mis à part les anciens du village de Jouques et des alentours.

Parmi les 15 résistants tombés que nous allons vous citer, 5 ont été fusillés lorsqu’ils ont voulu s’échapper de la bergerie et 10 ont été faits prisonniers, mais ont été immédiatement fusillés dans la colline, sous prétexte que c’étaient des « terroristes ». En vérité, les Nazis, conscients que leur régime bat de l’aile, avaient la hargne et la fureur de leur perte et se sont vengés sur ces pauvres malheureux.

On vous prie de lire s’il vous plaît jusqu’au bout ces 15 noms en leur hommage :

  • Calvi Raoul, né le 5 avril 1897, à Collobrières, Var.
  • Castro Sébastien, né le 5 avril 1917, à Turre, Espagne.
  • Cotholendy Henri, né le 10 janvier 1901, à Jouques.
  • Cotholendy Jean, né le 1er septembre, à Jouques.
  • Décanis Louis, né le 14 mai 1885, à Jouques.
  • Franchi Jean, né le 22 août 1923, à Marseille.
  • Garcia Jean, né le 26 mars 1924, à Ribaute-les-Tavernes, Gard.
  • Grac César, né le 14 juillet 1909, à Saint Martin d’Entraunes, Alpes-de-Hautes-Provence.
  • Granoux Lucien, né le 6 décembre 1923, à Jouques.
  • Mahé Alexis, né le 12 novembre 1905, à Allaire, Morbihan.
  • Mazet Max, né le 12 juin 1925, à Aix.
  • Mérono Antoine, né le 18 février 1910, à Perrégaux, département d’Oran.
  • Périn Jean-Baptiste, né le 13 février 1883, à Milly, Meuse.
  • Thus Julien, né le 4 mars 1915, à Jouques.
  • Throuin Aujustin, né le 30 septembre 1875, à Eoulx, Alpes-de-Haute-Provence.

 

D'après l'ouvrage Jouques, 10 juin 1944, de Jean-Claude FABRE, édité par Les Amis de Jouques, nous vous proposons ici de replacer le Maquis de Jouques dans son contexte afin d’accorder à celui-ci la large place qu’il a occupée. Cela ne se justifie que par la réponse qu’il apporte à deux questions :

 

  • Pourquoi les Maquis du Midi ont-ils été mobilisés plus deux mois avant le débarquement de Provence ?

 

  • Comment les Nazis ont-ils pu localiser aussi rapidement, du 10 juin au 15 juin 1944, et dans les seules Bouches-du-Rhône, sept rassemblements venant tout juste de se constituer ?

 

" Le gendarme dort d'un œil "

 

Ce message, diffusé dans la soirée du 1er juin par la B.B.C., met en alerte les responsables des divers mouvements de Résistance de la zone R2 qui correspond à peu près à l'actuelle région P.A.C.A.  (Les Hautes-Alpes sont alors attachées à la zone R1 -Lyon-).  C'est en effet, là, le signal de l'imminence d'une opération alliée d’envergure ; dans les jours à venir d'autres messages pourraient leur préciser le type d'actions à mener pour soutenir cette opération.  Car à chacune des 12 zones de Résistance correspond une série de phrases codées destinées à l'alerter, puis éventuellement à lui ordonner de mettre en œuvre tel ou tel des divers plans d'action élaborés par le B.C.R.A.

Le 5 juin, parmi les  quelques 210 messages à destination de la Résistance intérieure que la B.B.C  émet à partir de 21 h 30, passent tous ceux qui s'adressent à la zone R2 : "Nous nous roulerons sur le gazon" (plan Vert, sabotage des voies ferrées), "Il y aura de la friture" (plan Violet,  sabotage des télécommunications), "Les reproches glissent sur la carapace de l'indifférence" (plan Tortue, désorganisation des réseaux de communication), "Méfiez-vous du toréador" (plan Rouge, rassemblement des groupes armés dans les Maquis).

Pour les responsables régionaux des F.T.P., des M.U.R. et de l'O.R.A., il ne fait désormais plus de doute que les Alliés s'apprêtent à débarquer sur la côte provençale. Le protocole d'accord, dressé entre De Gaulle et l'État - Major Interallié, stipule en effet que seules seront mobilisées les formations paramilitaires de la région concernée par l'opération.

En fait, ce sont tous les messages mettant en action toutes les zones de Résistance qui ont été diffusées, à la veille du débarquement de Normandie.  Cet accroc à la convention établie entre les deux parties, accroc assorti de précautions diplomatiques, relève d'un souci tactique : éviter que les services de renseignements allemands puissent, par recoupement avec d'autres informations, localiser le lieu de débarquement.  Souci non dénué de fondements, comme on le verra plus loin, mais qui aura aussi un coût en termes de vies humaines exposées, et pas seulement dans les Maquis.  Au matin du 6 juin, les mêmes messages sont à nouveau diffusés : il importe de laisser le plus longtemps possible, planer le doute sur la nature exacte des opérations en cours sur les côtes normandes : premières phases d'un débarquement massif ou simples manœuvres de diversion ?

A partir du 6 juin 1944, les divers mouvements de résistance commencèrent à gagner le Jas du Logis d’Anne, une bergerie délabrée, juchée sur le rebord d’un plateau dominant la ferme du même nom. Il y a d’abord la place singulière que tient la ferme du Logis d’Anne dans la genèse, puis l’organisation de la Résistance locale. En effet, dans un premier temps, elle a d’abord été utilisée par les anciens de 14-18, puis au printemps 1944, deux instructeurs britanniques dispensaient au « jeunes » les rudiments de formation militaire.

Mais quelques jours après, elle va devenir un instrument essentiel de logistique, assurant le ravitaillement en vivres ainsi que le transit des armes parachutées par les alliés et jusque-là dispersées dans diverses caches.

Ces 150 hommes qui venaient pour la plupart de Jouques, de St-Paul-lès-Durance, Peyrolles-en-Provence, Meyrargues, Mirabeau, Vinon, se sont alors regroupés autour des ruines de l’ancienne bergerie. Parmi eux, des amis, des copains, des connaissances, que l’on a entraînés avec soi dans « une sorte d’enthousiasme collectif qui faisait fi des consignes de prudence que nous avions toujours observées » (D. Girard, « Ceux de Ste Anne »).

La responsabilité militaire du Maquis a été confiée à Jean Perreaudin, enseigne de vaisseau en congé d’armistice sans doute par amitié avec Jean Franchi, directeur de l’école communale du Puy-Sainte-Réparade et responsable local de l’O.R.A.

Militant socialiste et Franc-maçon, Jean Franchi a joué un rôle éminent dans la genèse puis l’orientation de la Résistance locale. Il est au nombre de ces personnes de confiance que joint, au cours de l’été 1940, Félix Gouin, député S.F.I.O. (Section française de l'Internationale ouvrière) d’Aix et seul parlementaire des Bouches-du-Rhône à avoir, le 10 juillet, refusé de voter les « pleins pouvoirs » au Maréchal Pétain. Homme de conviction, Jean Franchi est aussi un pragmatique soucieux d’efficacité, qui n’a pas une conception étroitement politicienne de la Résistance : à l’automne 1943, à l’issue d’une réunion houleuse à la Roque d’Anthéron avec Max Juvénal, il rompt avec « Combat » et rejoint l’O.R.A. Cela lui permettra de doter d’un armement non négligeable les hommes qu’il a entraînés avec lui.

C’est ainsi que : Louis Décanis, un « ancien » de 14-18 qui a gagné ses galons d’adjudant-chef, Emilien Julien du Logis d’Anne et son beau-frère Léon Bérard assurèrent l’encadrement. Trouin et Mitrano s’occupèrent de la cuisine qui, par prudence, se faisait de nuit.

En effet, en raison de l’absence de la toiture disparue depuis longtemps, ils avaient installé une couverture de branchages pour dissimuler la lueur du foyer. Ordinairement, un ragoût de mouton était fait. Certes, cela manquait de variétés mais c’était déjà ça. Au fil des jours, le repas était plutôt un pique-nique dont chacun se munissait en quittant le village.

Dans la soirée du 8 juin, quatre hommes résistants se saisirent au domicile d'Henri Beckmann, au 20 rue des Baumes. Froid et distant, ce préposé aux écritures du moulin à farine de Coudeirié, est par ailleurs le responsable cantonal de la Légion Française des Combattants. On le soupçonna d’être un informateur des autorités d’occupation. On l’entraîna alors dans une camionnette de P.T.T. (Postes, Télégraphes et Téléphones) et après un bref détour par la ferme Notre-Dame où les quatre hommes s’entretinrent un instant avec le maire (ce qui dénote pour le moins des relations de confiance), on le conduisit ensuite au Maquis.

Là-bas, à l’issue d’un rapide interrogatoire où son impassibilité, sa rigidité ont impressionné tous les témoins, il est exécuté d’une balle dans la tête et sommairement enterré par les maquisards.

L’après-midi du 9 juin, ordre est donné de quitter le Jas pour « prendre une meilleure position », ils déplacèrent alors le maquis plus au nord, vers le pont Mirabeau, sur une colline où la végétation était plus touffue.

On ne peut alors que s’interroger sur les raisons qui ont conduit à prendre cette décision le 9.

Certes, le mouvement opéré ce jour-là, s’inscrit parfaitement dans les modalités d’exécution du plan Rouge en R2. Le maître d’œuvre en est le capitaine Lécuyer, instructeur à l’Ecole Militaire Supérieur de Saint-Cyr (replié sur Aix depuis novembre 1940), qui au printemps 1944, a accepté le poste de chef d’Etat-major des F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur) en R2.

Ce plan donne pour mission aux Maquis rassemblés à proximité des lignes d’eaux que dessinent la Basse-Durance, le Bas-Verdon et l’Estéron qui affluent dans le Var, de faire peser une menace permanente aussi importante que possible sur les communications Nord-Sud.

Vraisemblablement, le Jas du Logis d’Anne n’était donc qu’un lieu de rassemblement, l’objectif du Maquis étant d’assurer le contrôle du défilé de Mirabeau. Deux anciens ont pu préciser d’ailleurs que, le cantonnement établi au soir du 9, derrière la deuxième ferme de l’Adaouste, n’était qu’en fait une étape et que le groupe devait se positionner par la suite, sur la rive droite de la Durance.

Mais on comprend mal que ce changement de position, qui conduit le Maquis à se couper d’une base arrière essentielle, intervienne alors même que la perspective d’un débarquement en Méditerranée, dans la foulée de celui de Normandie, s’éloigne chaque jour davantage.

En fait, tout porte à croire que ce mouvement est décidé dans l’urgence, sur la base d’une information alarmante, dont les cadres de la Résistance n’ont eu connaissance que le 9 juin : à savoir l’arrestation à Aix, du jeune Jean Franchi.

Ce cousin germain et parfait homonyme du responsable local de l’O.R.A. (Organisation de résistance de l'Armée) évoqué tout à l’heure, a commis la veille ou l’avant-veille, une énorme bévue : en manipulant une arme pour épater les copains, il a par mégarde sévèrement blessé un gendarme à Peyrolles et pris l’initiative de le conduire à l’hôpital d’Aix : on imagine aisément la suite.

Le survol à plusieurs reprises du secteur par un avion d’observation n’a pu que conforter le sentiment des responsables : qu’il devait dangereux de laisser fixer plus longtemps le Maquis en ce lieu.

Mais le fait de ne pas avoir mis à profit la nuit pour franchir la Durance, semble aussi montrer que ce changement de position est décidé à titre conservatoire comme si, dans l’expectative, on hésitait encore à se couper tout à fait de la ferme du Logis d’Anne.

 

Nous avons pris d'ailleurs des photos de la ferme du Logis d'Anne, qui aujourd'hui, a été rénovée ainsi que de la plaque, qui a été édifiée en l'hommage des familles JULIEN et BERARD, toutes deux résistantes.

PS : Nous tenions à vous faire part, qu'il est très difficile et très dangereux d'accéder à cette plaque. En effet, cette plaque se trouve en hauteur, au bout d'un escalier en ruine, avec une barre d'escalier rouillée et pas solide du tout. Personne ne peut y accéder, si ce n'est qu'à nos risques et périls. Il faudrait revoir l'accès car nous trouvons dommage que personne ne puisse s'y recueillir, alors que ces familles ont aidé à la libération de la France. Par ailleurs, il n'y a pas non plus d'indication, montrant où elle se trouve. Si vous pouviez en faire part, ça serait bien. Sans notre ami Roland Maurel, qui savait où elle se trouvait à peu près, nous n'aurions pas pu la trouver toutes seules. Comment peut-on mettre une plaque en hommage à des résistants et qu'elle ne soit pas visible de tous ? Merci par avance de faire le nécessaire sans vouloir vous offenser.

 

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Photos prises par nous-même à la Stèle de Bèdes

 

A en juger par les dispositions qu’il prenait, il n’a pas échappé à Perreaudin que le bivouac improvisé au soir du 9, était beaucoup plus exposé à l’irruption rapide d’une colonne motorisée, que le site qu’il venait de quitter. Deux fusils mitrailleurs sont alors placés en avant-poste de façon à prendre sous un tir croisé un éventuel assaillant ; l'un à quelque 200 mètres de la route départementale, en limite d'un bois, aujourd'hui disparu, au nord du chemin conduisant aux deux fermes ; l'autre, en retrait, à la première ferme de l’Adaouste alors en ruines, prenant en enfilade ce même chemin.

 

Quatre hommes restèrent en faction au Jas dans l'éventualité, leur a-t-on dit, d'un parachutage.

 

Voici ci-dessous une caisse de parachutage qui pouvait contenir jusqu'à 3 boîtes en fer comme celle de la seconde photo. On pouvait alors mettre à l'intérieur de ces caisses, des armes, de la nourriture, de l'argent... pour la survie des résistants.

 

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Photos prises chez Roland MAUREL, notre ami des commémorations, qui a ouvert un musée à Peyrolles-en-Provence

 

Le dernier témoin de cette équipe n'a cependant pas souvenance de consignes particulières (balisage de la zone de largage, procédure d'identification entre l'avion et les hommes au sol).

Plus probablement donc, les a-t-on laissés là pour "réceptionner" le cas échéant de nouveaux venus, et les conduire à l’Adaouste, qu'ils doivent rejoindre le lendemain.

Là-haut d'ailleurs, la rumeur court que "l’on attend des renforts". En vérité, à la place des renforts, c'est un convoi de camions allemands qui, vers deux ou trois heures du matin, monta vers le Maquis. L'arrêt des moteurs à l'entrée du chemin, qui mène aux deux fermes, et le bruit des troupes ainsi que des gourdes tapant sur le camion, en sautant à terre, éveillèrent l'attention, puis les craintes des hommes placés en première ligne : ils ouvrèrent le feu sur les premières silhouettes qui appariassent.

La violence de la riposte les contraint très vite à "décrocher". Du moins, l'éclat de la fusillade a-t-il alerté le cantonnement. Après s'être brièvement concerté avec un réfugié espagnol, ancien officier de l'armée républicaine, Perreaudin donne l'ordre de la dispersion.

Surpris à découvert ou mal camouflés, cinq hommes vont cependant tomber au cours de l'engagement (dont les anciens ont gardé le souvenir qu'il fut relativement bref), ou lors des opérations de ratissage qui suivent. Neuf autres sont faits prisonniers. Les Allemands mettent le feu aux deux fermes, sans doute pour en déloger ceux qui pourraient s'y trouver, mais une averse vient opportunément éteindre l'incendie avant qu'il ne se propage aux taillis et fourrés où se dissimulaient ceux, qui ont réussi à passer à travers les mailles du filet.

Au petit matin du 10 juin, les quatre hommes laissés en faction au Jas du Logis d'Anne montèrent sous la bruine vers l’Adaouste. Accueillis par des rafales d'armes automatiques, ils se replièrent vers le haut du vallon de Castagne.

Ce même jour, vers 11 heures, les neuf prisonniers sont alors conduits vers le lieu où se dresse aujourd'hui la stèle commémorative où nous sommes déplacées, pour y être exécutés en fin de matinée.

 

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Photos prises par nous-même à la Stèle de Bèdes

 

Les rescapés, quant à eux, descendirent précautionneusement dans l’après-midi vers la Durance, pour s'y désaltérer. Ils buttent alors sur un cordon de sentinelles placées le long de la nationale. Car ce n'est qu'en fin de journée que les Allemands levèrent leur dispositif.

Les villageois voient alors redescendre les camions que beaucoup d'entre eux ont entendu passer dans la nuit.

Du convoi, qui s'est engagé dans la rue Grande et d'où il doit refluer, des chants fusent. Des cris aussi : "terroristes kaputt" ce qui signifie "vous pouvez aller chercher les corps des terroristes".

En dépit du message envoyé par Perreaudin à Franchi "nous continuons le combat", c'en est fini du Maquis de Jouques : ce sont des hommes défaits, harassés, qui au cours de la nuit, rejoignent les bois de Cadarache, le Pey de Durance, Marine... car beaucoup, par prudence, évitent dans un premier temps de regagner leur village.

Le lendemain, la gendarmerie et les autorités judiciaires, actionnées par le maire, se rendent sur les lieux, et découvrent 11 corps.

Ceux de Sébastien Castro, Louis Décanis, Jean Franchi, César Grac, Lucien Granoux, Alexis Mahé, Antoine Mérono, Jean-Baptiste Périn et Augustin Trouin, alignés sur le haut du coteau qui descend vers la Sicarde.

Plus bas, dans le champ d'avoine où, malgré ses mains entravées derrière le dos, il a réussi à se trainer, git celui de Jean Cotholendy, dont le curé Choquet, qui fit la toilette mortuaire des suppliciés, dira qu'il aurait pu être sauvé, s'il avait été secouru à temps.

Enfin, à quelques 200 mètres de l’Adaouste, le cadavre de Jean Garcia.

Aux alentours de la même ferme, 4 autres corps sont découverts le 13 juin. Ceux de Raoul Calvi, Max Mazet et Julien Thus, tombés ensemble en contrebas du lieu où a été abattu Jean Garcia et, plus loin, sur l'échine rocheuse qui conduit à la Baume Lyonnaise, celui de Henri Cotholendy dit "Toine".

L'information judiciaire ouverte le 14 juin, suite à la découverte des cadavres, sera close le 23 juillet, par une ordonnance de non-lieu car "il a été établi que les personnes ont été fusillées par les autorités allemandes".

 

Carte en plus

Source : Extrait de Jouques, 10 juin 1944, de Jean-Claude FABRE, édité par Les Amis de Jouques

 

Dans le village, tétanisé par la tragédie, règne une tension qui appartient aujourd’hui aux « non-dits » de la mémoire collective, et qui ne transparait plus guère qu'en filigrane derrière un mutisme rarement transgressé sinon par sous-entendus, car la douleur des familles touchées dans leur chair n'est pas seule à s'exprimer.

Par ailleurs, des noms de personnes qui auraient trahis les leurs, sont encore prononcés alors que la vérité a été établie.

Bien sûr, la question que tout le monde se pose et qui alimente la suspicion, la médisance, la rumeur est : Qui a "donné" le Maquis ?

Car, c'est une évidence, l'opération a été montée sur la base de renseignements précis.

Près de 76 ans après, la question continue de hanter la mémoire des "anciens" et celle des témoins. Des noms sont avancés, des "on-dit" rapportés.

Or, on sait aujourd’hui que la trahison provient d’un envoyé spécial d’Alger, Maurice Seignon de Possel-Deydier, alias Noël (pour la Résistance) ou Erick (pour le SIPO-SD allemand), qui avait donné aux occupants de précieuses indications sur les maquis.

Aussi le temps parait-il venu de faire le point de ce que l'on sait aujourd'hui de cette période trouble et des incertitudes qui demeurent.

 

CHENAY

( Source : http://museedelaresistanceenligne.org/musee/doc/flash/texte/7978.pdf )

 

Il ne fait donc pas de doute que la localisation précise du lieu de cantonnement, est à mettre au compte de cet avion d'observation, le « mouchard » disent les anciens, qui "cercle" sur le plateau le 9 juin, et les survole lorsqu'ils traversent le vallon de Collobrières.

D'autant que les documents de l'époque, en particulier les photographies aériennes prises par les Alliés au printemps 1944, montrent un paysage très différent de celui que nous connaissons ; les terres cultivées et surtout les larges coupes de bois imposent alors de longs cheminements à découvert.

On retrouve d'ailleurs très exactement le même scénario deux jours plus tard à Lambesc, dans les heures qui précèdent l'attaque du Maquis de Ste-Anne.

Cela ne permet pas pour autant d'éluder les questions que posent l'exécution de Beckmann au soir du 8 juin, et surtout la présence du corps du jeune Franchi arrêté à Aix, à l’Adaouste.

Beckmann, était en 1941, le responsable cantonal de la Légion Française des Combattants.

Cette organisation, née de la loi du 29 août 1940, est l'unique organe d'expression des anciens combattants autorisé par le gouvernement de Vichy, qui désire en faire "le meilleur instrument de la Révolution nationale » en charge de la "résurrection" du pays et de la "régénération" de sa population.

Dans l'esprit de la plupart de ses membres, elle n'est cependant pas très différente de la classique association d'anciens combattants. C'est pourquoi germe peu à peu l'idée de dégager en son sein, un noyau d'éléments convaincus et militants : le 23 février 1942, est créé le Service d'Ordre Légionnaire (le S.O.L.).

Soumis dans un premier temps à l'autorité théorique de la Légion, le S.O.L. acquiert son indépendance le 30 janvier 1943, sous le nom de Milice, organisation paramilitaire tenant à la fois du parti unique et de la police mobile.

Or, c'est l'examen des papiers de Beckmann qui a brutalement écourté son interrogatoire et immédiatement scellé son sort.

Pour ce qui est du jeune Franchi, à côté de la version, reprise par J-CI Pouzet (La Résistance mosaïque), selon laquelle il a été amené sur les lieux, par le commando, et abattu avec ses camarades, il en existe une autre : celle de son exécution à Aix, suivie du transport du corps, à Jouques.

L'avis que les autorités allemandes font paraître le 14 juin, dans la presse régionale, pourrait, s'il se rapporte à Franchi, affirmer cette dernière version : "Le 9 juin 1944, un ressortissant français âgé de 20 ans a été condamné à mort par un tribunal militaire allemand. Il a été fusillé le même jour. Pour ne pas être envoyé en Allemagne, il s'était rendu dans un Maquis armé où il avait fait deux mois de service militaire préparatoire et s'était instruit à manier des armes à feu. Puis, il avait fait, contre paiement quelque temps, l'homme de liaison au service d'un chef de groupe de l'A.S. (Armée Secrète, bras armé des M.U.R.) (Mouvements Unis de la Résistance, nés au printemps 1943 de la fusion de Combat, Libération Sud et Franc-Tireur), sachant que celui-ci effectuait des entreprises de brigandage contre des civils, leur volant de l'essence et des autos et organisant le combat contre la Wehrmacht allemande".

Quoi qu'il en soit, le fait que son corps ait été retrouvé sur les lieux, témoigne de la volonté affichée de le désigner comme celui qui a "donné" le Maquis. Or, nous pensons que cela a été fait dans l’unique intention de brouiller les pistes et de monter les résistants les uns contre les autres.

Et de ce point de vue, il faut bien convenir que l'opération a été un succès, alors que le bilan militaire en est plutôt mince : ce qui explique sans doute, l'ampleur des moyens mis en œuvre, deux jours plus tard, pour neutraliser le Maquis de Ste-Anne.

Cependant, les Nazis disposaient depuis plus d’un mois, d'un informateur d'une toute autre envergure.

En mai 1944, le sergent-chef Ernst Dunker alias "Delage" qui est chef de service au bureau 18 de la Gestapo marseillaise * prend contact sur le Prado avec "Erick", qui, par deux fois a déjà proposé ses services.

"Erick" est le nom code d'un officier français parachuté sur le Midi en février 1944, pour établir une liaison par vedettes rapides, entre la Corse et la côte des Calanques (dans la Résistance son pseudonyme est "Noël").

Il n'a pu mener à bien sa mission et a semble-t-il ressenti quelque amertume d'être ravalé au rang d'instructeur (il a suivi des cours de sabotage à Blida, et avait été le compagnon d’armes d'Henri Chanay).

Né le 28 juillet 1914, jeune, grand, élégant, "c'est un coureur notoire auquel ses conquêtes coûtent beaucoup" (J-Cl Pouzet, "La Résistance mosaïque") et qui vient donc monnayer les renseignements qu'il détient.

Dunker lui demande bien évidemment de donner d'abord des gages de sa crédibilité. De son côté "Erick" prend soin de ne pas "abattre ses cartes" d'un seul coup. Mais les informations qu'il "lâche au compte- gouttes" (l'expression est de Dunker) s'avèrent capitales.

On dispose à ce sujet de plusieurs documents, il est vrai tous puisés à la même source, mais dans deux contextes très différents. Il y a les déclarations de Dunker après arrestation à Paris le 26 avril 1945 :

"J'ai eu connaissance d'un rapport... Les noms et adresses contenus dans ce rapport m'échappent actuellement ; en tous cas, nous en connaissions quelques-uns, noms, pseudos et adresses, mais ce qui nous a surtout intéressés dans ce compte-rendu, c'est qu'il ("Erick") se promettait de nous mettre en rapport avec le capitaine Lecuyer, lias « Sapin », et plus tard alias « Perpendiculaire », chef régional des Groupes d'Action Militaire, et avec « Circonférence » dont j'ignore le nom exact, Délégué Militaire Régional (Il s'agit de Louis Burdet). Pour nous, c'était les plus grosses têtes de la région de Marseille".

Au cours de son interrogatoire, Dunker dit aussi avoir eu, dès le 7 juin, connaissance des "sept lieux de rassemblement principaux, dans le département des Bouches-du-Rhône... (qui ont été communiqués le jour même à l'A.O.K. 19 (Haut commandement de la 19e Armée, à Avignon...)".

Dunker déclare encore : "Par la suite Erick nous donna d'autres noms, notamment celui d'un capitaine américain Lucas (qui est réalité le major Jean-Maurice Muthular d’Errecalde) de l'O.S.S. et d'un commandant français Michel (qui est en fait le capitaine Henri Chanay de l'infanterie coloniale) qui en assurait le commandement Michel". Il s'agit là de deux membres de la Mission Interalliée.

Cette Mission, dont le P.C. était établi dans une ferme proche de Vinon sur la route menant à Ginasservis, a d'ailleurs été utilisé à diverses reprises par l'un des Résistants de Jouques qui était agent de liaison.

"Michel" et "Lucas" ont été fusillés respectivement à Signes, le 18 juillet 1944 pour l'un, le 12 août pour l'autre, ce dont Dunker semble chercher à se dédouaner lorsqu'il déclare dans sa déposition : "Un certain jour, Pfanner (l'officier traitant d'Erick) m'avait dit en confidence qu'Erick demandait que les deux officiers arrêtés de la Mission soient mis cellule et exécutés le plus rapidement possible avant qu'ils ne puissent parler de lui... ".

Henri Chanay avait en effet été son compagnon d'armes à Blida comme nous avons pu le dire précédemment.

A côté de la déposition de Dunker, où il minimise ses responsabilités au 425 de la rue Paradis, il y a aussi les rapports de synthèse qu'il a rédigé au cours de son activité.

Dans celui en date du 7 juillet 1944 (rapport Catilina), on lit :

« Le 6 juin 1944, à 17 heures l'agent Erick a annoncé le déclenchement immédiat du plan Rouge (rassemblement de tous les Résistants dans le Maquis) et celui du plan Vert (début du sabotage) ... Le 10 juin 1944, Erick nous donna des indications précises sur le Maquis situé dans le bois dit, Chaine des Côtes, entre Charleval et Lambesc... Le 12 juin, ... il fut possible... d'encercler le camp et de le prendre en partie. »

 

Rapport final

(Source : http://museedelaresistanceenligne.org/media7674-Le-rapport-Catilina-des-services-allemands-bien-renseignA )

 

Dans un autre rapport (rapport Antoine) daté du 11 août 1944, Dunker dresse la liste des 80 membres de la Résistance identifiés "grâce aux dépositions et renseignements recueillis"; figurent "Lescuyer, capitaine français d'active d'Aix, alias Sapin, alias Perpendiculaire, alias Alexandre, alias Bertrand, chef régional O.R.A. "qui était déjà mentionné dans « Catilina », mais aussi « Franchi », chef de toute la Résistance des Bouches-du-Rhône (depuis juillet, il est le responsable départemental, hors Marseille, de l'O.R.A.) car il ne se laisse diriger par aucun chef des diverses organisations politiques. Perreaudin, capitaine de la Marine marchande, habitant le château de Cadarache … ".

Le rapport s'achève par une description de l'organisation de "la Résistance dans la 2e Région" où Dunker note: "L'O.R.A., la plus forte organisation militaire, est indépendante; elle provient de l'ancienne armée d'armistice d'une part, elle suit le général Giraud ; à sa tête se trouve le capitaine Lescuyer d'Aix, alias Sapin, alias Perpendiculaire, qui collabore très étroitement avec les Maquis italiens" (il s'agit là d'une allusion à l'accord d'assistance militaire réciproque passé, à Barcelonnette, le 22 mai 1944, avec les Résistants italiens des vallées de la Maira et de la Sutra).

 

Rapport Antoine 1

 

Rapport Antoine 2

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    Rapport Antoine 4

    Rapport Antoine 5

( Source : http://museedelaresistanceenligne.org/media7975-Les-arrestations-des-responsables-MUR-MLN-A#fiche-tab )

 

Ainsi la trahison de certains agents de la Résistance, "retournés", ou venus proposer spontanément leurs services pour des motifs sordides, ait largement contribué à l'efficacité des forces de répression, est un fait désormais bien établi.

Mais cette longue, et très partielle évocation des informations dont disposaient les services de renseignements nazis montre aussi, par leur précision (entre autres à propos de Franchi), qu'elles ne peuvent résulter que d’un recoupement de multiples sources.

Cependant, le Jas du logis d'Anne figurait parmi "les sept lieux de rassemblement principaux dans le département" dont Dunker eut connaissance. Il suffit pour s'en convaincre de suivre le sort des divers groupes de Résistants recensés dans le département à cette date.

Trois font l'objet d'une attaque en règle, aussitôt après leur mobilisation ; Jouques et la Coutronne (près du Plan d'Aups) dès le 10 juin, Ste-Anne le 12.

Dans les jours qui suivent, trois autres se dispersent de leur propre initiative ; en l'absence de nouvelles instructions : Valfère (entre St-Estève-Janson et Rognes) que commandait Jean Franchi, Pontès dans la Trévaresse et le Ligourès dans les bois du même nom au sud de Peyrolles. Ainsi, l'imminence d'un débarquement allié dans le Midi apparait, en effet, de plus en plus improbable.

Pour Valfère (témoignage cité par J-CI Pouzet) et le Ligourès (rapport du Sous-préfet du 27 juillet), il n'était que temps ; peu après leur dispersion, les Allemands ratissent le secteur.

En revanche, c'est sur ordre que Lambruisse, que venaient de rejoindre quelques rescapés de Ste-Anne, et le Puits d'Auzon, prévenus de l'imminence d'une attaque, sont évacués quelques heures seulement avant que ne soit lancée une vaste opération, au cours de laquelle seront abattus le 15 juin Louis Girieux au Grand Sambuc et Georges Ménecier à Claps.

La tuerie de St-Antonin le 16 juin, relève de son côté d'un tragique concours de circonstances : ce jour-là, ceux du Maquis de Lambruisse, qui ont décidé de rejoindre une ferme proche de Pourrières, tombent malencontreusement sur un détachement allemand qui, en fait, "quadrille" le plateau du Cengle, à la suite d'un parachutage manqué la nuit précédente sur la zone de largage "Ecosse".

Ce sont donc pas moins de sept Maquis, (Jouques, la Coutronne, Sainte Anne, Valfère, le Ligourès, Lambouisse, le Puy Auzon) qui sont, entre le 10 et le 15 juin, dans la ligne de mire des troupes d'occupation.

Cela ne doit bien évidemment rien au hasard. La trahison d’Erick" ne peut seule rendre compte de l'efficacité des services de renseignements allemands.

Celle-ci repose manifestement sur un travail en profondeur basé sur le recoupement de multiples informations.

Les témoignages écrits, laissés par certains de ceux qui récupéraient le matériel parachuté au Taulisson, montrent que ces opérations n'échappaient pas à la vigilance des autorités, et "les anciens" se souviennent qu'il valait mieux alors ne pas porter les chaussures aisément reconnaissables issues de ces parachutages.

Témoignages corroborés par les documents officiels récemment "déclassifiés" tel ce rapport du sous-préfet en date du 22 mars 1944 :

"le 7 de ce mois deux caisses de 24 000 cartouches ainsi qu'une toile de parachute ont été repérées par la gendarmerie de Peyrolles et enlevées par la Feld Gendarmerie de Salon".

Ce n'est donc pas par hasard si "le Balafré", vint à plusieurs reprises à Jouques. "Le Balafré", c'est Klébert Hermann, employé à Aix de l'Office de Placement Allemand, 18 rue Thiers, mais aussi membre du groupe Collaboration et agent zélé de l'antenne aixoise du S.D. (Service de sécurité du parti nazi), installée à deux pas de là, à l’hôtel de la Mule Noire.

Enfin, pour prix de ses services, "Erick" reçut un salaire qui ne fut pas celui qu'il attendait. Dunker le fit abattre, le 8 aout 1944, sur la route des Baumettes, prenant le soin de donner lui-même le coup de grâce à celui que, manifestement, il méprisait autant qu'il appréciait la qualité de ses informations.

En témoigne, la phrase qui ouvre le rapport Catilina :

« Grâce aux indications faites à notre service par un chef de Résistance vexé et avide d'argent qui est désigné dans le dossier comme étant l'agent Erick. »

De même que celle qui, dans le rapport Antoine, attribue l'échec de la mission initiale d'Erick, comme agent de la Résistance, à son "manque de zèle".

De son côté, Dunker, comme l'ensemble du personnel du S.D., réussit à quitter Marseille avant que les Alliés l'investissent.

Au printemps 1945, alors que l'étau se referme sur l'Allemagne nazie, il tente vainement de gagner la Suisse.

Rentré en France le 24 mars, en usant d'une fausse carte d'identité au nom de Delage, il est arrêté à Paris deux jours plus tard.

Transféré à Marseille, il est condamné à mort le 24 janvier 1947 par le tribunal de la IXe région militaire, mais ne sera exécuté que le 6 juin 1950, au champ de tir du Pharo.

Quant à Klébert Hermann, "le Balafré ", grièvement blessé dans l'attentat qui, au soir du 27 avril 1944, a coûté la vie à son supérieur hiérarchique, il est aux yeux des autorités encore en vie le 7 aout 1945, date à laquelle la Cour de justice d'Aix-en-Provence, le condamne à mort par contumace. Pourtant, son acte de naissance à St Puy (Gers) ne comporte pas en marge la date et le lieu du décès, ce qui devrait être le cas, si celui-ci est postérieur à l'ordonnance du 29 mars 1945, qui instaure ce type de mention marginale.

Sans doute a-t-il fait l'objet avant cette date d'une exécution sommaire dont la justice officielle n'avait pas encore connaissance à l'été 1945.

Les recherches pour éclaircir ce point sont jusqu'à présent restées vaines.

Ajoutons enfin qu"Erick" et "le Balafré" n'opéraient pas en terrain inconnu : l'un et l'autre se sont mariés à Marseille, le premier en 1936, le second en 1938.

Voici différents plans que nous avons trouvé sur Géoportail afin de vous situer les ruines de la Bergerie du Logis d’Anne.

 

Carte 2

 

Carte 3

 

Carte 5

 

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